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01/05/1997 La Recherche
BERNARD DUTRILLAUX
Institut Curie, UMR 147 du CNRS et Département de radiobiologie et radiopathologie DSV/CEA.
FLORENCE RICHARD
Institut Curie, UMR 147 du CNRS et université Versailles/ St-Quentin/Yvelines.
N.B. Cet article complète un précédent article de Bernard Dutrillaux, paru dans notre numéro spécial sur l'évolution (mars 1997). Lequel article peut également être lu sur notre site Web.


L'évolution des techniques
Voici quatre types de remaniements chromosomiques

Voici le caryotype présumé de l'ancêtre commun à l'homme,



*LE CARYOTYPE
est l'ensemble des chromosomes d'une cellule normale de l'individu. Chez l'homme, il comprend 46 chromosomes, dont deux sexuels.
*LE POLYMORPHISME
est la qualité d'une espèce ou d'une population qui se présente sous plusieurs formes. D'un individu à l'autre, on observe notamment des variations dans les gènes ou parfois les chromosomes, qui retentissent alors sur le phénotype*.
*HÉTÉROZYGOTE
De hetero (différent) et zygote (oeuf fécondé). Employé ici au sens d'un individu dont les deux allèles (copies provenant de l'un et l'autre parent) d'un même gène sont différents.
*LE PHÉNOTYPE
est l'ensemble des caractères morphologiques et biologiques d'un individu, déterminés par ses gènes (génotype).
*LE CENTROMÈRE
est la région du chromosome qui relie les deux chromatides, leur donnant leur forme en X ou en V. Il se situe dans une région riche en ADN répété. La fonction principale du centromère est l'attachement du chromosome au fuseau mitotique qui se forme lors de la division cellulaire, permettant la migration des chromosomes vers chaque pôle de la cellule.
*Un chromosome est ACROCENTRIQUE quand son centromère est situé à une extrémité (forme en V). Un chromosome en forme de X est appelé MÉTACENTRIQUE.
*CHIMPANZÉS BLANCS ET NOIRS
Tous les chimpanzés ont le pelage foncé. Toutefois, la pigmentation cutanée varie, ce qui permet de distinguer des chimpanzés à face blanche et d'autres à face noire.



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> CYTOGÉNÉTIQUE

L'analyse des chromosomes permet de réécrire l'histoire des primates
Notre nouvel arbre de famille

La comparaison systématique des chromosomes de quelque cent vingt espèces de primates permet de reconstituer de manière précise l'arbre généalogique de notre grande famille. Jamais sans doute la place de l'espèce humaine dans le monde vivant n'aura été identifiée comme aussi banale. L'analyse réserve aussi quelques surprises.
L'analyse des chromosomes d'individus appartenant à une même espèce montre généralement qu'ils possèdent des caryotypes* semblables. Toutefois , un polymorphisme* chromosomique plus ou moins grand peut exister, ce qui traduit une dynamique montrant que la notion d'espèce stable, telle qu'elle est souvent comprise, est un peu simpliste. Une espèce est un ensemble d'individus qui partagent plus ou moins totalement un ensemble de caractères héréditaires. Cet ensemble de caractères n'est pas exactement celui d'hier et sera encore modifié demain. L'ensemble de ces modifications n'est pas partagé par toute la population, de sorte que s'établit un polymorphisme, qui pourra être plus ou moins marqué selon les périodes et les régions de distribution de l'espèce. Il n'en reste pas moins que, dans la grande majorité des cas, il est possible de définir le caryotype d'une espèce, car ses variations sont le plus souvent modérées. Ainsi, chez l'homme, qui est le mammifère le plus étudié, 995 individus sur mille possèdent le même caryotype à 46 chromosomes. Environ un caryotype sur mille possède 45 chromosomes, à la suite d'une translocation robertsonienne (fig. 1), et un caryotype sur mille un autre remaniement chromosomique équilibré (sans effet pathologique décelable).

Ces particularités sont presque toujours observées à l'état hétérozygote*, c'est-à-dire qu'elles ne concernent qu'un seul chromosome d'une paire. Les autres formules aberrantes sont déséquilibrées, donc associées à une pathologie, et, n'étant pas transmises à la descendance, n'interviennent pas dans le polymorphisme à proprement parler.

Lorsque les caryotypes représentatifs de deux espèces sont comparés, des différences sont généralement constatées. Elles portent sur le nombre ou la morphologie des chromosomes, ou les deux en même temps. Ainsi, chez les primates, les formules chromosomiques les plus basses sont observées chez les lépilemurs de Madagascar (2N = 20), les plus élevées chez les tarsiers d'Asie (2N = 84).

Les primates comprennent actuellement environ deux cents espèces. Dans nos travaux, nous avons analysé le caryotype de près de cent vingt d'entre elles. Commençons par un bref rappel de la systématique. L'ordre des primates comprend deux sous-ordres, celui des prosimiens et celui des simiens. Le sous-ordre des simiens comprend deux infra-ordres. Celui des catarhiniens - où l'homme se situe - est ainsi nommé parce qu'ils ont des narines rapprochées et celui des platyrhiniens, dont les narines sont écartées et dont les espèces sont toutes sur le continent américain. Le sous-ordre des prosimiens contient quatre infra-ordres, les tupaiiformes, les lémuriens, les lorisiformes et les tarsiers. Les deux cents espèces de primates se distribuent à peu près à parts égales entre catarhiniens, platyrhiniens et prosimiens. Ces derniers se localisent pour une grande part à Madagascar (lémurs) et au sud des continents africain et asiatique.

La comparaison des caryotypes permet quelques conclusions simples.

D'abord, beaucoup d'espèces considérées comme proches par les systématiciens, c'est-à-dire appartenant au même genre, voire à la même famille, possèdent des caryotypes proches, dont beaucoup de chromosomes sont identiques.

On peut en déduire que deux paramètres relativement indépendants ont évolué parallèlement : d'une part les modifications chromosomiques, et d'autre part les mutations des gènes responsables des traits morphologiques sur lesquels la systématique classique se fonde. Mais il y a des exceptions. Ainsi, des espèces aux phénotypes* nettement différents, comme les macaques, babouins, géladas, drills et mandrills, peuvent posséder des caryotypes identiques ou très semblables. A l'inverse, des espèces proches, comme les divers cercopithèques arboricoles, paraissent morphologiquement proches, mais ont des caryotypes assez différents. En dépit de ces exceptions, plus les espèces sont éloignées, plus il est difficile de comparer leurs chromosomes directement.

Il nous a donc fallu procéder par une approche progressive de comparaison d'espèces proches, afin d'en déduire les éléments communs, qui représentent en général les caractères ancestraux. Par exemple, le fait que le chimpanzé, le gorille et l'orang-outan possèdent un chromosome identique au chromosome 6 humain indique que leur ancêtre commun possédait déjà ce chromosome. En suivant ce principe, dit de parcimonie car il adopte l'hypothèse la plus simple (la plus économe), il est possible de reconstituer avec une bonne précision le caryotype ancestral d'un groupe d'espèces proches, comme celui de l'homme ( Hominidae ) et des grands singes ( Pongidae ). On peut en faire autant pour les Cercopithecidae , beaucoup plus nombreux en espèces.

Il devient alors possible de comparer les deux caryotypes ainsi reconstitués, ce qui s'avère très riche en informations. Ainsi, lorsque les deux reconstitutions, indépendantes, ont amené à désigner le même chromosome comme ancestral, il devient certain qu'il l'était effectivement. De plus, le choix d'un chromosome ancestral n'étant pas toujours univoque dans un groupe donné, lorsque l'une des solutions possibles se retrouve dans deux groupes indépendants, cette solution devient très probable.

Nous avons donc progressivement reconstitué le caryotype ancestral des catarhiniens, puis celui des platyrhiniens et des prosimiens, et il a été très satisfaisant de constater qu'ils partageaient de nombreux chromosomes identiques ou très semblables. Cette constatation avait valeur de confirmation, puisqu'il est hautement improbable de reconstituer par hasard de mêmes chromosomes indépendamment. La comparaison de ces trois caryotypes ancestraux permet alors de franchir une nouvelle étape, qui est celle de la reconstitution du caryotype ancestral de l'ensemble des primates.

Pour valider ce caryotype, il était nécessaire de le comparer à celui d'autres animaux. C'est ainsi que nous avons effectué le même travail de reconstitution pour les carnivores. A nouveau, leur caryotype ancestral s'est avéré très semblable à celui reconstitué pour les primates, ce qui nous a permis d'approcher la reconstitution du caryotype ancestral des mammifères placentaires.

Parmi les nombreux caryotypes d'espèces rattachées à d'autres ordres, nous avons alors recherché si certains chromosomes ancestraux s'y retrouvaient. Cela fut le cas, montrant au passage que certaines espèces avaient conservé de nombreux chromosomes ancestraux, alors que d'autres n'en possédaient plus.

Ainsi, chez les rongeurs, la famille des écureuils ( Sciuridae ) a conservé des chromosomes peu modifiés, donc faciles à comparer à ceux des primates. A l'inverse, la famille des Muridae , à laquelle se rattachent les rats et les souris, a des chromosomes très différenciés. Ainsi, en se basant sur cette différenciation, la souris possède l'un des caryotypes les plus « évolués », beaucoup plus évolué, par rapport au caryotype de l'ancêtre, que celui de l'homme, par exemple. Ce n'est pas anecdotique, car la souris est le mammifère le plus étudié avec l'homme. Son génome est donc bien connu, et les extrapolations à l'homme sont d'un grand intérêt.

Malheureusement, le hasard a fait que l'animal le plus usité pour l'expérimentation soit aussi l'un de ceux dont le génome est le plus éloigné de celui de notre propre espèce... Le surcoût d'un tel choix serait considérable, s'il n'était compensé par d'autres avantages, mais cela complique sérieusement la tâche des biologistes.

D'autres animaux ont conservé des caryotypes primitifs. C'est le cas du lièvre et du lapin dans l'ordre des lagomorphes. C'est aussi le cas du tatou, dans l'ordre des édentés. Finalement, toutes ces intercomparaisons nous ont permis de reconstruire un caryotype ancestral commun, avec une précision probablement assez bonne. On peut en effet estimer que 80 % du caryotype du dernier ancêtre commun des mammifères placentaires, qui a vécu il y a une centaine de millions d'années, est connu, avec une précision qui va très au-delà des notions que nous avons sur sa morphologie.

A titre d'exemple nous présentons le caryotype présumé du dernier ancêtre commun aux Hominidae , Pongidae et Cercopithecidae (fig. 2). Seule ambiguïté persistante, le chromosome 3 de cet ancêtre était soit comme chez l'orang-outan actuel, soit comme chez le macaque. L'animal, dont le caryotype est représenté, a vécu il y a 30 à 50 millions d'années.

Certains principes élémentaires de la reconstitution phylogénétique ayant été évoqués dans La Recherche de mars 1997, il n'est pas utile de les reprendre en détail ici. Rappelons toutefois que, du fait que les chromosomes possèdent des structures en bandes, il est possible de reconstituer précisément les réarrangements qu'ils subissent. Il est de même possible, lorsqu'un chromosome subit plusieurs modifications, d'identifier d'éventuelles étapes intermédiaires, et donc d'ordonner une suite d'événements. La reconstitution des étapes ancestrales, telle que nous venons de l'évoquer plus haut, permet ensuite de préciser l'origine, et donc de fixer ce qui est ancestral et ce qui en est dérivé. Ceci est un énorme avantage par rapport à beaucoup d'autres caractères, morphologiques en particulier, dont il est souvent difficile de déterminer la nature ancestrale ou dérivée.

La reconstitution de la phylogénie chromosomique a bénéficié de deux autres avantages, directement liés à la mécanique évolutive. D'abord, le taux de réarrangements séparant le caryotype d'espèces proches dépasse rarement la dizaine, ce qui est très informatif et rend l'interprétation possible (un grand nombre de réarrangements rendrait l'information trop complexe).

Ensuite, la plupart des réarrangements sont soit intrachromosomiques (inversions et fissions), soit, quand ils sont interchromosomiques, relativement simples (translocations robertsoniennes). Une accumulation d'autres remaniements rendrait le décryptage trop complexe. C'est ce qui est arrivé, par exemple chez les muridés, dont nous avons déjà parlé, et, plus proches de nous, chez les gibbons. Il nous a été impossible, pour cette raison, de situer précisément les gibbons parmi les autres primates. Ces reconstitutions chromosomiques nous ont donc permis de proposer l'arbre « généalogique » représenté page suivante.

Cet arbre indique pour commencer que l'évolution des primates a été très vite divergente. A vrai dire, il n'est même pas possible de proposer l'existence d'un tronc commun, puisqu'on assiste d'emblée à une bifurcation entre simiens et prosimiens ancestraux. Cette absence de remaniement chromosomique commun n'exclut pas, toutefois, l'existence d'un tronc commun où seules des mutations géniques seraient survenues.

Les prosimiens ont aussi une divergence très précoce, entre espèces malgaches et afro-asiatiques. Le groupe malgache (lémuriformes) comprend plusieurs familles, parmi lesquelles les aye-aye ( Daubentoniidae , DMA) se sont séparés tôt. Les autres familles, Cheirogaleidae , Lemuridae , Indriidae et Lepilemuridae se sont ensuite toutes isolées à partir d'une même population ancestrale (LEM).

Le groupe afro-asiatique (lorisiformes, LOR) comprend deux familles, les Lorisidae (à droite) et les Galagidae . Celles-ci partagent un long tronc commun, et se trouvent ensuite bien séparées. Nous n'avons pu obtenir d'informations permettant de situer les tarsiers. Ils ont vraisemblablement subi une évolution chromosomique avec de nombreuses fissions et translocations, rendant leur caryotype très difficile à comparer à celui des autres primates. Quant aux tupaiiformes, leur caryotype est relativement simple. Il n'a pas été pris en compte car l'appartenance des tupaiiformes à l'ordre des primates est incertaine.

On remarquera que la très grande majorité des modifications chromosomiques survenues chez les prosimiens sont des translocations robertsoniennes (indiquées par des carrés clairs).

A l'origine de la plupart des branches menant aux espèces, des cercles ont été indiqués dans lesquels les remaniements sont partagés diversement. Ceci traduit la survenue d'une évolution en réseau, dont nous avons détaillé le principe dans le numéro de mars de La Recherche . La seule évolution franchement dichotomique (par bipartition) est observée dans le groupe des Lepilemuridae , dont le nombre chromosomique a été très réduit par la survenue de nombreuses fusions.

Les simiens partagent eux aussi un tronc très court, avant de se séparer en platyrhiniens et catarhiniens.

Chez les platyrhiniens, les deux grandes familles se trouvent également bien séparées. Les Callitrichidae , qui regroupent les tamarins et les ouistitis, partagent un tronc commun avant de se séparer par une évolution en réseau. L'évolution des Cebidae , qui regroupent les autres, semble plus complexe, et notre reconstitution est encore inachevée. C'est probablement dans cette famille que les révisions systématiques les plus grandes doivent être apportées. Les positions respectives des singes capucins ( Cebus ), des singes écureuils ( Saimiri ) et des singes araignées ( Ateles ), entre autres, longtemps imprécises, se trouvent maintenant indiquées par notre schéma.

L'ensemble des catarhiniens partage un long tronc commun, avant la bifurcation séparant la nombreuse famille des Cercopithecidae . Un long tronc commun est à nouveau partagé par les trois sous-familles, Colobinae , Papioninae et Cercopithecinae, issues d'une même population commune. L'évolution des Papioninae (macaca, papio, cercocebus, mandrillus) se caractérise par la stabilité du caryotype, resté très proche de celui de l'ancêtre commun des Cercopithecidae . Ce groupe offre un démenti aux hypothèses qui supposaient que la spéciation passe nécessairement par des modifications chromosomiques. L'évolution des Cercopithecinae est plus remarquable. Plus de cinquante réarrangements séparent les caryotypes d'un nombre d'espèces comparable à celui des Papioninae . Etant issues d'une même population ancestrale, ces deux sous-familles ont donc accumulé les modifications chromosomiques à des vitesses très différentes. La survenue de ces réarrangements ne peut donc constituer une horloge biologique. Autre particularité, l'évolution des Cercopithecinae a séparé deux populations ayant ensuite évolué en réseaux. De l'une de ces populations sont issues les espèces terrestres, de l'autre la plupart des espèces arboricoles. On remarquera, en outre, l'accumulation de fissions, indiquées par des flèches, qui contribuent chacune à augmenter le nombre de chromosomes. C'est ainsi que certaines espèces, comme les mones, possèdent plus de 70 chromosomes, alors que les Cercopithecidae ancestraux n'en possédaient que 42. Ces évolutions en réseau s'opposent à l'évolution dichotomique des lépilé-murs. L'existence d'un nombre chromosomique élevé en cas d'évolution en réseau et faible en cas d'évolution par dichotomie est caractéristique.

Le dernier groupe à considérer est celui des Pongidae et des Hominidae . Un tronc commun les individualise de l'ancêtre commun aux catarhiniens. Il est probable que les Hylobatidae (gibbons) se soient séparés assez tôt de ce tronc, mais les données cytogénétiques sont peu informatives.

Revenons aux Pongidae pour constater que les ancêtres de l'orang-outan se sont séparés d'abord. Le tronc propre à l'orang-outan est court, et cette espèce possède deux caryotypes distincts, qui correspondent aux formes de Suma-tra et de Bornéo. Leur séparation géographique s'est donc accompagnée d'une diversification chromosomique, ce qui correspond vraisemblablement à un début de spéciation. Malheureusement, l'extermination par l'homme de cette espèce ne laisse aucune chance à cette évolution d'aboutir. Les autres Pongidae et l'homme partagent ensuite un tronc commun assez long, avant que leurs ancêtres ne se soient séparés par une évolution en réseau. Du fait de la séparation précoce de l'orang-outan et de la proximité du gorille et du chimpanzé, il paraît clair que la branche des Hominidae ne s'est séparée que très tardivement de la famille des Pongidae . Nos ancêtres directs étaient donc bien des Pongidae .

L'identification de notre plus proche parent a fait couler beaucoup d'encre, tant de la part des scientifiques que des philosophes, et des révélations sur le chaînon manquant (lequel ?) sont régulièrement proposées. La seule originalité de l'évolution chromosomique des Pongidae et des Hominidae est de nous concerner de près.

D'une évolution en réseau sont issues les trois branches menant aux espèces actuelles. Les derniers issus de cette population commune sont vraisemblablement les ancêtres des chimpanzés, puisqu'ils partagent les acquisitions du gorille et de l'homme à la fois. Ils se trouvent donc en position intermédiaire, et de ce fait plus près des ancêtres des Hominidae . Ils sont aussi plus différenciés.

Les populations de gorilles, malheureusement bien réduites aujourd'hui, ne semblent pas différer par leur caryotype : celui du gorille des plaines est comme celui du gorille des montagnes. La diversité est plus grande chez les chimpanzés, où l'espèce commune ( Pan troglodytes ) et l'espèce naine, aussi appelée bonobo ( Pan paniscus ), diffèrent par deux modifications chromosomiques. Il est possible qu'une autre modification différencie le chimpanzé « blanc » du chimpanzé « noir* », mais nous n'avons pu confirmer ce résultat, faute de spécimens à étudier. En tout cas, les positions définies des deux espèces de chimpanzés contre-disent formellement certaines hypothèses récemment publiées selon lesquelles P. paniscus serait un intermédiaire entre l'homme et le chimpanzé commun.

Notre orgueil dusse-t-il en souffrir, il faut admettre que la position de l'homme est bien banale dans cet arbre évolutif. Nous sommes étonnamment proches des autres primates, en particulier des Pongidae .

Nous souhaiterions terminer cette brève analyse qui résume vingt-cinq ans de travaux sur une seule réflexion. Tout biologiste rêve de connaître, autrement que par des fossiles, les espèces qui ont jalonné l'histoire de la vie. Il est difficile de pardonner aux hommes d'avoir fait disparaître quelques-unes de ces espèces, par profit ou inconscience, et surtout de continuer à le faire. L'homme est actuellement en train d'éliminer de nombreuses espèces, et parmi les plus menacées se trouvent l'orang-outan et le gorille, tellement précieux pour la compréhension de notre propre histoire. C'est une responsabilité insoutenable, qui sera jugée par nos propres descendants comme l'un des pires crimes commis par notre civilisation. A la différence des autres grands crimes de ce siècle, il n'aura pas été commis par un dictateur fou, mais par une humanité consciente. N'étant pas un enjeu économique, il est malheureusement fort à craindre que cette question ne soit pas traitée à temps au plus haut niveau politique, à moins que même les mentalités puissent évoluer.


Bernard Dutrillaux et Florence Richard


Voir les références indiquées dans le numéro de mars 1997 de La Recherche .

CYTOGÉNÉTIQUE


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