Dans un précédent travail (Lejeune et al.,1973), nous avons comparé
la structure fine des chromatides de l'homme et du chimpanzé Pan
troglodytes, à l'aide de quatre techniques de marquage.
Ces mêmes techniques sont utilisées pour l'étude du gorille (Gorilla
gorilla) et les caryotypes des trois espèces sont ainsi comparés avec
précision.
Un certain nombre de différences majeures avec les résultats de
travaux antérieurs (Turleau et al.,1973 ; Grouchy et al., 1973 ;
Pearson, 1973) sont mis en évidence.
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Matériel et Méthodes
Les analyses chromosomiques ont été effectuées chez deux femelles,
après culture de cellules sanguines, selon la méthode habituelle (Turpin
et Lejeune, 1965 ; Dutrillaux et Couturier, 1972). Les quatre méthodes
de marquage (bandes R, Q, T et H) précédemment utilisées pour la
comparaison Pan-Homo (Lejeune et al., 1973) ont été
employées.
Après l'établissement du caryotype de l'espèce, par l'analyse de
métaphases en bandes R, nous avons cherché à reconnaître le maximum de
structures par l'étude de prométaphases précoces, et comparé les
résultats à ceux obtenus par les autres méthodes de
marquage.
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Résultats
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Présentation des illustrations
Les fig. 1 à 5 montrent les chromosomes étudiés par les quatre
techniques. A gauche est représenté un schéma de chromosome humain avec
la nomenclature (Paris conférence, 1971). Ensuite, sur chaque ligne
horizontale, on trouve deux images de dénaturation ménage (bandes R),
puis deux images en bandes Q, puis deux images en bandes T et enfin deux
images en bandes H. Dans chaque cas, on trouve à gauche un chromosome
humain et à droite l'élément correspondant du gorille.
Bien que la comparaison ait porté sur les caryotypes de Homo, Gorilla
et Pan, nous n'avons pas fait figurer les chromosomes de la dernière
espèce, afin de ne pas alourdir les illustrations. On se référera donc
au travail précédent (Lejeune et a1., 1973).

Fig. 1-5, Comparaison des chromosomes de l'homme et du
Gorille (Gorilla gorilla). De gauche à droite, analyse en bandes R, Q, T
et H. Dans chaque cas, le chromosome humain est à gauche et celui du
gorille à droite. Le schéma situe à l'extrême gauche représente la
nomenclature des chromosomes humains. Les flèches noires indiquent les
points de cassure des remaniements séparant les deux espèces ; les flèches
blanches, les bandes Q terminales surnuméraires chez le gorille.
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Comparaison des chromosomes
La nomenclature des chromosomes humains est prise comme référence.
Cependant, lorsque pour une paire donnée, les chromosomes du gorille
sont identiques à ceux du chimpanzé, mais différents de ceux de l'homme,
on indiquera simplement cette similitude sans donner le détail des
remaniements chromosomiques qui a déjà été rapporté lors de la
comparaison Pan-Homo (Lejeune et al., 1973).
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Chromosomes 1
Bandes R, Q, T et H. Bras court et bras long identiques à ceux du
chimpanzé.
Le gorille et le chimpanzé différent donc de l'homme par l'absence de
la région q1 et des bandes q21 et q22.
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Chromosomes 2
Comme chez le chimpanzé, deux éléments correspondent ici au
chromosome 2 humain.
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Chromosomes 2p
Plus strictement acrocentriques que chez le chimpanzé.
Bandes B et Q. Présence de deux bandes en plus sur le bras long et de
deux en moins sur le bras court, ce qui peut indiquer qu'il s'est
produit une inversion péricentrique entre Gorilla et Pan, avec des
points de cassure situés en p11 et q12. Les satellites, probablement
variables sont importants sur le bras court, alors qu'on ne les voit pas
chez Pan.
Bandes T. Pas de marquage, comme chez Pan.
Bandes H. Marquage sur le bras court, qu'on observait mais moins
important sur le bras long chez Pan, renforçant ainsi l'hypothèse d'une
inversion péricentrique. Ce marquage a disparu chez
l'homme.
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Chromosomes 2q
Bandes R, Q, T et H. Identiques à celles du
chimpanzé.
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Chromosomes 3
Bandes R, Q, T et H. Identiques à celles de Pan et
Homo.
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Chromosomes 4
Ils ont un centromère moins distal que chez l'homme mais moins médian
que chez le chimpanzé.
Bandes R. Par rapport à l'homme, bras court identique de p16 à p13 ;
bras long identique de q35 à q21. I et inversion du segment p13 ?
q13.
Il semble impossible de reproduire un chromosome 4 de chimpanzé à
partir d'un 4 de gorille par un simple accident à deux cassures. II
faudrait coït faire intervenir un accident à trois cassures (translation
du segment q21.1 ? q21.2 dans la bande p13 du gorille, soit faire
intervenir deux inversions péricentriques consécutives, le chromosome 4
humain représentant l'étape intermédiaire.
Bandes Q. Présence d'une bande Q terminale supplémentaire sur le bras
court. Appellation proposée p17.
Présence d'une bande Q très fluorescente juxtacentromérique. Ce
marquage, que l'on n'a jamais observé chez le chimpanzé, est beaucoup
plus intense que celui qui existe, inconstamment, chez
l'homme.
Bandes T. Marquage identique à Homo et Pan.
Bandes H. Absence de marquage, comme chez Pan.
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Chromosomes 5
Ils ressemblent beaucoup à ceux du chimpanzé, mais en diffèrent par
la partie terminale de leur bras court.
Bandes R. Par rapport à l'homme et au chimpanzé, bras long identique
de q35 à q13.3. Le bras court rappelle celui du chimpanzé, mais son
marquage diffère sensiblement, surtout à sa partie
terminale.
Bandes Q. On n'observe pas la bande très fluorescente p14 existant
chez Homo et Pan ; la fluorescence d'ensemble, du bras court, est
relativement faible.
Présence d'une bande Q terminale supplémentaire chez Gorilla
seulement.
Bandes T. Marquage terminal très important sur le bras court, sans
correspondance chez Homo et Pan.
Bandes H. Absence de marquage.
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Chromosomes 6
Bandes B, Q, T et H. Identiques à celles du chimpanzé, et différant
seulement de l'homme par la présence d'une bande Q terminale sur le bras
court.
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Chromosomes 7
Bandes R. Bras court identique à celui de l'homme et du chimpanzé.
Sur le bras long, la bande q11 est plus longue, et la bande q22 trop
claire : possibilité d'une inversion paracentrique q11.3 ?
q22.3
Bandes Q. Bras court : présence d'une bande Q terminale en plus de
chez l'homme, comme chez le chimpanzé. Sur le bras long, rapprochement
des deux bandes q21 et q31 du fait de la petite taille de la bande
q22.
Bandes T. Identiques.
Bandes H. Identiques à celles du chimpanzé, c'est-à -dire, plus
étendues que chez l'homme.
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Chromosomes 8
Bandes R. Par rapport à l'homme et au chimpanzé, bras court identique
de p23 à p21. Bras long identique de q24 à q22.1. Inversion
péricentrique du segment p12 ? q21.3.
Bandes Q. Présence d'une bande Q terminale sur le bras court, comme
chez le chimpanzé.
Bandes T. Identiques.
Bandes H. Pas de marquage, comme chez Homo et Pan.
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Chromosomes 9
Bandes R. Bras long identique à celui de l'homme de q34 à q13.
Inversion péricentrique du segment p24 ? q12. La bande q11, située sur
le bras court chez Gorille, est plus marquée que chez Homo. Cette
correspondance entre les bandes d'Homo et de Gorille ne se retrouve pas
avec Pan où les premières bandes du bras long semblent d'une autre
origine.
Bandes Q. Marquage juxtacentromérique présent chez Gorille
seulement.
Bandes T. Identiques.
Bandes H. Le marquage observé sur le bras long du 9 humain peut fort
bien correspondre à celui qui est observé ici sur le bras
court.
On notera que la constriction secondaire du 9 humain équivaut ainsi
au filament du satellite de son homologue chez le
gorille.
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Chromosomes 10
Bandes R. Par rapport à l'homme et au chimpanzé, bras long identique
de q26 à q24. Inversion péricentrique du segment p15 ? q24 (fig. 3 et
6).
Bandes Q. Présence d'une bande Q terminale sur le bras "court", comme
chez le chimpanzé.
Bandes T et H. Identiques.

Fig. 6a-d. Chromosomes 10 métaphasiques. a Chromosomes 10
normaux du chimpanzé. b Chromosomes 10 humains normaux. c Chromosomes 10
d'une femme porteuse d'une inversion péricentrique : inv (11)) (p15; q24)
(élément de droite). d Chromosomes 10 normaux du gorille. Ces éléments
correspondent exactement au chromosome 10 remanié : inv (10) (p15; q24)
(Dutrillaux et al., 1973)
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Chromosomes 11
Bandes. R, Q, T et H. Identiques à celles du chimpanzé, différant de
celles de l'homme par la présence d'une bande Q terminale en plus, sur
le bras court. Cette bande paraît moins intense chez
Gorilla.
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Chromosomes 12
Bandes R, Q, T et H. Identiques à celles du chimpanzé : inversion
péricentrique et bande Q terminale en plus par rapport à
l'homme.
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Chromosomes 13
Bandes R, Q, T et H. Le bras long identique à celui de l'homme,
diffère de celui du chimpanzé qui porte deux bandes intercalaires en
plus. Bras court variable, mais généralement plus développé que chez
l'homme, comme chez le chimpanzé. Seul le 13 humain porte un marquage Q
juxtacentromérique.
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Chromosomes 14
Bandes R et Q. Bras long identique à celui de l'homme et du
chimpanzé, de q32 à q21. Inversion péricentrique du segment p11 ? q21.
Les satellites du bras court, existant chez l'homme et le chimpanzé,
sont ici généralement peu ou pas visibles.
Bandes T : Identiques.
Bandes H. Marquage de la partie juxtacentromérique du bras long,
confirmant l'existence de l'inversion péricentrique.
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Chromosomes 15
Bandes R, Q, T et H. Identiques à celles de l'homme : présence de
deux bandes de plus que chez le chimpanzé.
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Chromosomes 16
Bandes R. Par rapport à l'homme, bras court identique. Bras long
identique de q24 à q13. La constriction secondaire, juxtacentromérique
chez l'homme, est ici séparée du centromère par une bande sombre :
inversion paracentrique possible du segment q11.1 ? q12. De plus, la
constriction secondaire est en moyenne beaucoup plus développée chez le
gorille.
Comme pour le chromosome 4, il ne paraît pas possible de reproduire
le chromosome 16 de Pan à partir de celui de Gorilla, par un seul
accident à deux cassures.
Il faudrait faire intervenir soit une translation de la constriction
secondaire (trois cassures), soit deux inversions, péricentrique et
paracentrique, et le 16 humain représenterait la forme
intermédiaire.
Bandes Q. Bande Q terminale en plus, sur le bras court et le bras
long, comme chez le chimpanzé.
Bandes T. Identiques.
Bandes H. Marquage de la constriction secondaire. Ce marquage existe
aussi chez le chimpanzé, sur le bras court, mais fait défaut chez
l'homme.
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Chromosomes 17
Ils sont métacentriques, comme chez le chimpanzé, mais de marquage
différent.
Bandes R. Le bras long peut correspondre à celui du chimpanzé,
c'est-à -dire au segment q25 ? q21.3 de l'homme.
Le bras court, trop pâle, ne peut avoir la même origine que les 17 de
l'homme et du chimpanzé.
Bandes Q. La bande très fluorescente, située au milieu du bras court,
ressemble à celle que l'on observe sur le bras court du 5 de l'homme et
du chimpanzé. L'hypothèse d'une translocation t(5;17) peut dans être
envisagée. Présence d'une bande Q terminale sur le bras
long.
Bandes T. Marquage limité à la bande terminale du bras
long.
Bandes H. Pas de marquage, alors qu'on l'observe chez l'homme et le
chimpanzé.
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Chromosomes 18
Bandes R, Q, T et H. Identiques à celles du chimpanzé.
Par rapport à l'homme, inversion péricentrique et région
hétérochromatique du bras court en plus.
Haut
Chromosomes 19
Bandes R et T. Identiques pour les trois espèces.
Bandes Q. Présence, comme chez le chimpanzé, d'une bande Q terminale
en plus sur chaque bras.
Bandes H. Absence du marquage juxtacentromérique observé chez l'homme
et le chimpanzé.
Haut
Chromosomes 20
Bandes R, T et H. Identiques pour les 3 espèces.
Bandes Q. Bande Q terminale sur chaque bras. Sur le bras long, cette
bande est très importante, probablement double.
Haut
Chromosomes 21 et 22
Bandes R, T et H. Identiques pour les trois espèces.
Bandes Q. sur le bras long, présence d'une bande Q terminale en plus,
comme chez le chimpanzé. Les bras courts, variables chez les trois
espèces, sont généralement plus développés chez Gorilla et
Pan.
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Chromosomes X
Bandes R, Q, T et H. Identiques pour les trois
espèces.
Haut
Chromosomes Y
Non étudiés ici.
Haut
Discussion
Seul le travail de Turleau et al. (1973) tentait de comparer les
caryotypes de l'homme, du chimpanzé et du gorille, avec la méthode de
bandes R.
L'analyse des stades prométaphasiques, et l'utilisation de plusieurs
méthodes de marquage, apportent ici une précision sensiblement
supérieure, et nos conclusions diffèrent sur la comparaison des
chromosomes 2, 4, 5, 7, 9, 13, 14, 15, 16, 17 et 18.
Haut
a) Les chromosomes homologues
Comme nous l'avions signalé pour Pan et Homo (Lejeune et al., 1973),
la méthode de bandes R s'avère la plus efficace pour la reconnaissance
des similitudes chromosomiques.
Par cette méthode, on trouve huit homologies de marquage (chromosomes
3, 6, 11, 19, 20, 21, 22 et X) pour les trois espèces.
Si l'on tient compte des bandes Q, cette homologie ne persiste plus
que pour les seuls chromosomes 3 et X, en raison des bandes Q terminales
qui existent chez Pan et Gorilla, mais pas chez Homo.
Si l'on compare maintenant les espèces deux à deux, on reconnaît, en
plus de ces homologies et en faisant abstraction de la variation des
bandes Q terminales :
les 7, 8, 10 et 14 communs à Homo et Pan seulement,
les 13 et 15 communs à Homo et Gorilla seulement,
les 1, 12 et 18 communs à Pan et Gorilla seulement.
Au total, le caryotype humain se trouve plus proche de celui de Pan
(12 homologies) que de celui de Gorilla (10 homologies), et le caryotype
de Pan plus proche que celui d'Homo que de celui de Gorilla (11
homologies).
Haut
Les segments de chromatides homologues
Si l'on restreint l'analyse aux segments de chromatide, et non plus
aux chromosomes entiers, les analogies recouvrent la presque totalité du
caryotype.
Les seules structures dont il n'est pas possible de retrouver la
correspondance avec certitude chez les trois espèces, sont les suivantes
:
bandes 1q11 et 1q12, 1q21 et 1q22 présentes chez Homo
seulement,
bandes 5p14 et 5p15, présentes chez Homo et Pan
seulement,
bandes 9q12 et 9q13, reconnues chez Homo et Gorilla
seulement,
deux bandes de 13q en plus, et deux bandes de 15q en moins, chez Pan
seulement,
enfin, les trois bandes correspondant au 17p humain ne correspondent
pas à celles du 17p de Gorilla.
L'absence d'homologie détectable ne porte donc que sur dix bandes
environ entre Homo et Pan, Homo et Gorilla et Pan et Gorille. De plus,
ce nombre relativement faible est peut être une surestimation de la
réalité, puisque nous n'avons retenu que les homologies les plus
évidentes.
Au total, si l'on considère que le caryotype de chaque espèce
comprend prés de 500 structures, l'homologie est voisine de
98%.
D'autre part, il faut remarquer que les pertes ou gains de segments
de chromatide ne sont pas plus importants entre Homo et Gorilla qu'entre
Homo et Pan.
Les effets "quantitatifs" semblent donc avoir, dans l'évolution
chromosomique d'espèces proches, un rôle mains important que les effets
"cloisonnants" provenant de remaniements équilibrés.
Haut
c) Les remaniements de structure chromosomique
Les inversions péricentriques
Comme l'ont montré Turleau et al. (1973) et comme nous l'avons
confirmé (Lejeune et al., 1973), les inversions péricentriques semblent
avoir joué un rôle essentiel. On en dénombre :
huit, portant sur les chromosomes 4, 5, 8, 9, 10, 12, 14 et 18, et
peut-être une neuvième portant sur le 17, qui séparent Homo de
Gorilla,
six, portant sur les 2p, 4, 8, 10, 14 et 16, qui séparent Gorilla de
Pan,
six, portant sur les 4, 5, 12, 16, 17 et 18, qui séparent Homo de Pan
(Lejeune et al.,1973).
Il est intéressant de signaler que l'inversion péricentrique du 10,
séparant Homo de Gorilla, se trouve observée dans un cas pathologique,
chez l'homme (fig. 6), où elle est à l'origine d'un trouble méiotique
par aneusomie de recombinaison.
Les inversions paracentriques
Ce type de réarrangement chromosomique n'avait pas été observé entre
Pan et Homo. Bien qu'il soit difficile de l'affirmer, en raison de la
petite taille des segments de chromatide remaniés, il semble qu'une
inversion paracentrique se soit produite sur les chromosomes 7 et
16.
Pour le chromosome 7, une inversion du segment q11.3 ? q22.3 permet
assez bien de reconstituer un chromosome de gorille à partir de celui de
l'homme au du chimpanzé.
Pour le 16, une inversion du segment q11.1 ? q12 permet d'obtenir le
chromosome du gorille à partir de celui de l'homme.
Ces inversions paracentriques pourraient avoir, à côté du rôle
"cloisonnant", un rôle d'emblée "modifiant", du fait de la modification
du sens de la lecture des gènes situés dans le segment inversé (Lejeune
et al., 1973).
Les translocations
Lors de la comparaison Pan-Homo (Lejeune et ad., 1973), nous n'avions
observé avec certitude qu'une seule translocation. Encore était-elle
d'un type particulier puisque la fusion télomérique de deux éléments
permettait d'obtenir le 2 humain. Aucune translocation de ce type ne
sépare Gorilla de Pan et seule une éventuelle translocation entre un 5
et un 17 peut être discutée.
Si l'on compare maintenant les trois espèces, on constate que pour
former le 2 humain, il faut d'abord "passer" de Gorilla à Pan. par une
inversion péricentrique du 2p, la translocation s'effectuant
nécessairement sur les mêmes chromosomes 2p et 2q que ceux du
chimpanzé.
Les chromosomes 13 et 15 sont identiques chez le gorille et l'homme,
alors que chez le chimpanzé, il manque deux bandes sur le 15 et qu'il y
en a deux de plus sur le 13.
On peut donc supposer que les 13 et 15 observés chez l'homme et le
gorille sont les plus proches de ceux de l'ancêtre commun. Il n'est pas
exclu, d'autre part, qu'il se soit produit une insertion de deux bandes
du 15 dans le 13 pour obtenir les chromosomes du
chimpanzé.
Enfin, il semble qu'il existe une translocation t (5 ;
17).
Cependant, il est impossible de reproduire exactement les chromosomes
5 et 17 du gorille à partir de ceux de l'homme ou du chimpanzé,
plusieurs remaniements seraient nécessaires.
Haut
d) Les bandes Q terminales
Nous avions vu, lors de la comparaison Pan-Homo, qu'il existait un
grand nombre de bandes Q terminales, qui ne s'observaient que chez
Pan.
D'une façon générale, ces mêmes bandes se retrouvent chez Gorilla.
Seules différences, il existe une bande Q terminale sur le 5p, et pas
sur le 17p chez Gorilla, ce qui pourrait confirmer l'hypothèse de la
translocation t (5; 17) séparant les deux espèces. De plus, il existe
une bande Q terminale sur le 4p de Gorilla, et pas chez
Pan.
Au total, par rapport à Pan, il existe chez Gorilla une bande Q
terminale en plus.
Haut
e) Les bandes Q juxtacentromériques
Il existe souvent, chez l'homme, un marquage Q intense,
juxtacentromérique, des chromosomes 3, 4 et 13 (Paris conférence,
1971).
Lors de notre analyse de Pan, nous n'avions pas observé un tel
marquage, mais devant le petit nombre d'animaux examinés, son absence
systématique n'avait pu être affirmée.
Les mêmes remarques peuvent être faites pour les chromosomes 3 et 13
de Gorilla. Par contre, sur les chromosomes 4 de cette espèce, nous
avons régulière ment observé un marquage très fluorescent. La forte
intensité et la grande extension de ce marquage le distinguent nettement
de celui du 4 humain.
Enfin, le chromosome 9, acrocentrique chez le gorille, porte un
marquage qui n'a de correspondance ni chez Homo, ni chez
Pan.
Haut
f) Les bandes T
Comme nous l'avions remarqué lors de la comparaison Pan-Homo, les
bandes T sont très semblables d'une espèce à l'autre et semblent être
des constituants chromosomiques très stables.
Seule différence avec Homo et Pan, la bande T du bras court du 5 est
très forte, chez Gorilla, et son origine n'est actuellement pas
connue.
Haut
g) Les bras courts des acrocentriques, les constrictions secondaires
et les bandes H
1. Le chromosome 2p. Chez Gorilla, cet élément est acrocentrique et
porte un marquage H sur son bras court. Chez Pan, il est
submétacentrique et porte un marquage H sur son bras
long.
2. Le, chromosome 9. Cet élément, chez Gorilla et chez Pongo (analyse
en cours), est acrocentrique. Il porte, sur son bras court, du matériel
hétérochromatique correspondant au satellite et à son filament. Cette
région se colore fortement en bandes H.
Il paraît alors très probable que le chromosome de l'ancêtre commun
ait été acrocentrique, et portait comme les autres éléments
acracentriques, du matériel hétérochrornatique sur son bras court. Une
inversion péricentrique permet d'obtenir le 9 humain, submétacentrique,
dont la constriction secondaire et son marquage H particulier
correspondrait alors Í l'hétérachromatine du bras court de
l'acrocentrique d'origine.
3. Le chromosome 14. Chez Homo et Pan, cet élément est acrocentrique
et porte un marquage H sur son bras court. Le même chromosome 14 est
retrouvé chez Pongo (analyse en cours). Par contre, chez Gorilla, le 14
est submétacentrique et porte un marquage H sur son bras
long.
Bien qu'il soit encore trop tôt pour en tirer une conclusion
générale, il apparaît donc, comme le montre la formation du chromosome 9
humain, du 2p du chimpanzé et du 14 du gorille, que lorsqu'un élément
non acrocentrique possède un marquage H, ce marquage provient de
l'hétérochromatine du bras court d'un acrocentrique ancestral. Il sera
donc très intéressant de connaître l'origine des autres chromosomes non
acrocentriques possédant, eux aussi, un marquage H.
Un certain nombre d'autres remarques méritent d'are faites à propos
des bandes H :
toutes sont situées à proximité d'un centromère,
tous les acrocentriques portent ces bandes dont les dimensions sont
assez variables,
chez une même espèce, elles semblent fréquemment subir de petits
remaniements, comme en témoigne l'inversion péricentrique du 9 souvent
observée chez l'homme,
les chromosomes portant ces structures semblent subir de fréquents
remaniements, au cours de l'évolution, et ces faits sont à rapprocher de
la pathologie humaine où, par exemple, les translocations atteignent si
souvent les acrocentriques,
lorsqu'elles sont éloignées du centromère, à la suite d'un
remaniement, elles semblent perdre leurs propriétés tinctoriales
particulières,
enfin, ce marquage qui semble relativement indépendant des autres,
peut "apparaître" ou "disparaître", sur un chromosome donné, sans
modifier les marquages R et Q de même localisation.
Ainsi, une simple analyse morphologique de ces structures laisse
supposer qu'elles possédent une constitution chimique particulière,
prédisposant peut-être aux remaniements chromosomiques.
Haut
Conclusions
L'analyse du caryotype du gorille confirme et précise les conclusions
que nous avions portées, lors de la comparaison Pan-Homo, sur les
mécanismes de l'évolution chromosomique chez les primates
hominiens.
1. Les remaniements de type "cloisonnant" par inversion péricentrique
en particulier, restent, par leur fréquence, le mécanisme le plus
apparent.
2. Les changements "quantitatifs" tels que les additions et les
délétions de segments de chromatides ont peut être joué un rôle plus
limité, n'étant pas plus importants entre Homo et Gorilla qu'entre Homo
et Pan.
3. Les accidents chromosomiques observés en pathologie humaine et les
changements chromosomiques séparant les trois espèces ne semblent pas
fortuits et peuvent relever des mêmes facteurs favorisants. La
constitution de l'hétérochromatine marquée en bandes H est peut être
l'un de ces facteurs.
4. Entre Gorilla et Pan, on n'observe pas de translocation par fusion
télomérique dont le rôle, à la fois "cloisonnant" et "modifiant" avait
été discuté lors de la comparaison Pan-Homo (Lejeune et al.,
1973).
Par contre, l'inversion paracentrique du 7, et peut être du 16,
séparant Gorilla d'Homo et Pan, pourrait jouer le même
rôle.
5. Bien que l'étude phylogénique complète ne sera entreprise
qu'ultérieurement, après l'analyse du caryotype de Pongo, un certain
nombre de drainons peuvent déjà être mis en évidence.
Par exemple, pour reproduire le chromosome 2 humain à partir des 2p
et 2q de Gorilla, il est indispensable de passer par l'étape
intermédiaire représentée par les 2p et 2q de Pan.
Inversement, le chromosome 4 humain semble représenter l'étape
intermédiaire entre les 4 de Pan et de Gorilla. En effet, alors qu'on
passe simplement d'Homo à Gorilla, ou d'Homo à Pan par une simple
inversion péricentrique, il n'est pas possible de passer du 4 de Pan à
celui de Gorilla à moins d'un remaniement exigeant un minimum de trois
cassures. Il en est peut être de même pour le chromosome
16.
Haut
Bibliographie
Dutrillaux, B., Couturier, J.: Techniques d'analyse chromosomique.
In. Biologie génétique. Paris: l'Expansion 1972
Dutrillaux, B., Laurent, C., Robert, J. M., Lejeune, J.: Inversion
péricentrique, inv (10), chez la mère et aneusomie de recombinaison,
inv. (19), rec (10), chez son fils. Cytogenet. 12, 245-253
(1973)
Grouchy, J. de, Turleau, C., Roubin, u., Chavin Colin, F.:
Chromosomal evolution of man and the primate (Pan troglodytes, Gorilla
gorilla, Pongo pygmaeus). In : Proc. Nobel Symp.1972. Chromosome
Identification, Technique and Applications in biology and medicine.
Nobel Foundation Stockholm. New York-London: Academic Press
1973
Lejeune, J., Dutrillaux, B., Réthoré, M. O., Prieur, M.: Comparaison
de la structure fine des chromatides d'Homo sapiens et de Pan
troglodytes. Chromosoma (Berl.) 43, 423-444 (1973)
Paris Conference: 1971 Standardization in human cytogenetics. The
National Foundation, March of Dimes, Vol. VIII Nb 7
(1972)
Pearson, P.: The uniqueness of the human karyotype. In: Proc. Nobel
Symp. 1972. Chromosome Identification, Technique and Applications in
biology and medicine. Nobel Foundation Stockholm. New York-London:
Academic Press 1973
Turleau, C., Grouchy, J. de, Klein, M.: Phylogénie chromosomique de
l'homme et des primates hominiens (Pan troglodytes, Gorilla et Pongo
pygmaeus). Essai de reconstitution du caryotype de l'ancêtre commun.
Ann. Génét. 15, 225-240 (1972)
Turpin, R., Lejeune, J.: Les chromosomes humains. Paris: Gauthier
Villars 1965
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