POLYMERISATION DE L'HEMOGLOBINE S

La polymérisation de la désoxyHb S est à l'origine de la pathologie de la drépanocytose.



Vu au microscope électronique le globule rouge drépanocytaire désoxygéné apparaît rempli d'un gel formé par des de cristaux allongés longs de 1 à 15 µ. Ces cristaux sont constitués par des polymères d'hémoglobine. Le globule rouge, déformé par ces structures fibreuses tubulaires prend une forme caractéristique en faucille ou feuille de houx .















La polymérisation de la désoxyhémoglobine S s'observe aussi bien in-vitro, en solutions concentrées, qu' in-vivo , à l'intérieur du globule rouge.
Les premières hypothèses concernant les bases moléculaires de cette polymérisation, et la structure du polymère remontent à Murayama qui, en 1966, a postulé la formation de sites hydrophobes complémentaires permettant un enchaînement des tétramères d'hémoglobine en structures fibreuses tubulaires.
La formation du gel cristallin n'est pas un phénomène instantané elle est précédée d'une période de latence ("delay-time" des anglo-saxons (t d)) qui, selon les conditions expérimentales peut varier de la milliseconde à plusieurs jours. Cette période de latence correspond à la formation des noyaux de cristallisation. Un nombre élevé de molécules d'hémoglobines s'agrégent selon une cinétique dépendant essentiellement de la concentration en desoxyHb S. Ce n'est qu'après cette étape que devient thermodynamiquement possible une croissance autocatalytique, très rapide, des polymères fibreux. Le temps de latence est inversement proportionnel à une puissance élevée (de l'ordre de 15 à 50 selon les auteurs) de la concentration hémoglobinique. ce qui signifie qu'une minime différence de concentration peut avoir un effet important sur cette cinétique.
La réaction est température dépendante. Ce fait s'explique par le type de liaisons impliqué dans la polymérisation : il s'agit majoritairement d'interactions hydrophobes dont la stabilité augmente parallélement à la température. La polymérisation est donc facilitée par une élévation thermique .




Les études par diffraction de rayons X ont permis de déterminer les aires de contact entre sous-unités au sein de la maille cristalline.
Par cette méthode, Wishner et ses collaborateurs ont montré que la base de la structure cristalline consistait en deux brins hélicoidaux juxtaposés où les tétramères d'hémoglobine s'associent comme les perles d'un collier. Dans cet empillement de tétramères on distingue deux types de contacts: - ceux intervenant entre les tétramères d'hémoglobine d'un même brin - et ceux joignant les deux brins juxtaposés.
Cette géométrie implique qu'à l'interieur du tétramère les sous unités ne sont pas équivalentes : il faut distinguer les contacts du dimère 1 et ceux du dimère 2.
Ainsi dans l'Hb S la valine 6 de la sous-unité 1 n'est impliquée dans aucun contact; la même valine dans la sous-unité 2 intervient directement dans le contact inter-brins en se positionnant dans une niche hydrophobe constituée par la phénylalanine 85 et la leucine 88 de la sous unité qui lui fait face. L'hélice de Wishner-Love, montre les principaux contact de cette structure cristalline élémentaire. Dans l'Hb A le glutamate en position 6 qui est un résidu hydrophile n'a aucune affinité pour cette niche.

Ce modèle montre qu'un tétramère hybride comportant une chaîne de type S et une chaîne d'un type autre peut également s'intégrer dans le polymère. Ce phénomène explique pourquoi les Hbs D Punjab (ou O Arab), dans lesquelles une mutation supplémentaire (en 121) crée une liaison stabilisant les contacts verticaux, favorisent la polymérisation.

L'absence d'intégration de l'Hb F dans le polymère est sans doute à imputer à une atteinte à la fois des contacts verticaux et horizontaux.

L'effet aggravant de l'Hb C est du à un autre mécanisme. Cette hémoglobine présente en effet le même potentiel d'integration dans le polymère que l'Hb A mais les cellules qui la contiennent sont plus petites et présentent donc une concentration accrue en hémoglobine.









A l'intérieur du globule rouge, ou dans des solutions concentrées de désoxyHbS, les doubles brins s'apparient en faisceau pour former les super-structures tubulaires qui forment le gel cristallin. Ces structures comportent un axe central formé de 2 brins et 12 brins situés à la périphérie et ont un diamètre externe de 17 à 22 nm.


Normalement dans le globule rouge, l'hémoglobine est présente à une concentration d'environ 33 g/dl. Les 270 millions de molécules contenues dans chaque hématie sont pratiquement en contact les unes avec les autres, certaines forces répulsives localisées à leur surface les empêchant de polymériser. Le milieu intra-érythrocytaire est donc un fluide de haute viscosité dans un état paracristallin. La modification structurale de l'Hb S, dans la configuration désoxygénée, suffit à déplacer cet équilibre vers la polymérisation.

Les mécanismes de la polymérisation sont fondamentalement les mêmes qu'in-vitro mais le phénomène est rendu plus complexe par la coexistence d'autres facteurs et par la grande hétérogénéite de la population cellulaire. On conçoit facilement qu'à une même pO2 on aura d'une part une saturation en oxygène différente dans chaque population cellulaire et d'autre part des taux de polymères très différents d'un type cellulaire à l'autre. Dans les cellules denses des polymères existent en permanence et suppriment la notion de temps de latence précédant la polymérisation. Une minime diminution de la pO2 suffira à induire leur falciformation, et ce d'autant plus que ces cellules se situent à un niveau de saturation en oxygène plus bas que le reste de la population.
A forte concentration en HbS, même à des niveaux de saturation en oxygène élevés, une fraction notable de l'hémoglobine peut déjà être sous forme de polymères. Ainsi, même au delà de 95% de saturation en oxygène des polymères sont observés lorsque la concentration en hémoglobine dépasse 40 g/dl .

D'autres hémoglobines sont également en interaction avec l'Hb S à l'intérieur de la cellule. Il existe toujours environ 3% d'Hb A2 et il y a souvent de l'Hb F mais à un taux variable d'un sujet à l'autre et d'une cellule à l'autre. Chez les sujets hétérozygotes l'Hb S est évidemment en interaction avec une autre hémoglobine, normale ou anormale, qui peut faciliter (Hb D Punjab) ou, au contraire, inhiber ( Hb Korle Bu) la polymérisation.









RETOUR