La découverte d'un souffle cardiaque chez un enfant compromet-elle la pratique sportive ?


 M. Kabaker, A. Casasoprana  Service  de cardiologie,  hôpital Robert Debré,  48, boulevard  Sérurier,   Paris.
La Revue du Praticien - Médecine Générale, tome 6 N°172 du 30 mars 1992
Médecine générale
 
La découverte d'un souffle cardiaque chez un enfant est souvent confondue avec un essoufflement anormal par les parents qui posent immédiatement le problème du maintien des activités sportives.
 
L'importance de la décision d'autoriser le maintien des activités sportives doit être soulignée.
 
En effet, en période scolaire, tous les enfants font du sport. Il existe bien sûr le sport scolaire qui fait partie de la vie normale à l'école et dont il est important que l'enfant ne soit pas exclu. Mais en fait, en dehors de cette activité sportive organisée et contrôlée, il est bien certain que tout enfant qui joue dans la cour de l'école fait du sport d'une manière intense et maximale, cela sans contrôle. Cette activité sportive non organisée est cependant toujours aussi intense car le jeu chez l'enfant est toujours synonyme de compétition, c'est-à-dire d'effort maximal.
 
LES CARACTÉRISTIQUES DU SOUFFLE
 
Il convient donc de ne pas laisser persister le moindre doute concernant cette aptitude cardiologique et un bilan cardiovasculaire soigneux doit être pratiqué.
 
Les souffles cardiaques de l'enfant sont anorganiques dans 80 % des cas.
 
A l'âge scolaire, les malformations cardiaques congénitales majeures ont en règle été dépistées, et le plus fréquemment dans 80 % des cas il s'agit d'un souffle anorganique. La persistance, à plusieurs reprises, de cette anomalie auscultatoire doit faire demander un avis cardiologique. Les souffles dits anorganiques qui ont comme caractéristique d'être variables, diminuant en position assise et s'accompagnant d'un éréthisme cardiovasculaire à (origine de turbulences sanguines sont facilement éliminés ; ces souffles ne sont jamais holo-systoliques ni frémissants mais plutôt proto-systoliques.
 
Il faut aussi signaler le souffle veineux. Ce souffle qui témoigne de turbulences au niveau du confluent de Pirogoff s'entend dans la région sus-claviculaire droite où il est continu avec une irradiation endapexienne systolique. Il est très variable selon la position du thorax et la rotation de la tête et disparaît lors de la compression de la veine jugulaire. Au moindre doute, bien sûr, après avis du cardiologue, il faut demander une échocardiographie pour éliminer toute anomalie morphologique même mineure.
 
Au terme de ce bilan cardiovasculaire, il existe des cas simples :
 
- il n'y a pas de cardiopathie ; on peut donc affirmer (intégrité cardiaque et autoriser et même inciter ces enfants à la pratique sportive. On voit en effet trop souvent des adultes jeunes en mauvaise condition physique chez lesquels le sport a été interdit sans raison ;
Seules les cardiopathies obstructives serrées et l'hypertension artérielle pulmonaire sont des contre-indications à l'activité sportive
- il existe une contre-indication absolue à toute activité sportive
c'est le cas des malformations obstructives serrées.
 
LES CARDIOPATHIES OBSTRUCTIVES DU COEUR GAUCHE

Dans la cardiomyopathie obstructive l'obstacle est dynamique. C'est à l'âge scolaire l'anomalie majeure à dépister car ces anomalies dynamiques sont évolutives et l'hypertrophie progresse en général avec l'âge.
Un rétrécissement aortique fixe doit être évalué. L'écho-döppler cardiaque permet de chiffrer le gradient de pression. De toute manière, que le rétrécissement soit serré ou apparaisse moins important, avant toute décision thérapeutique, chez un patient asymptomatique, il faut prescrire un électrocardiogramme d'effort dont on doit exiger la normalité pour autoriser la pratique sportive. Les critères retenus sont l'absence de modifications électriques ischémiques et de troubles du rythme ventriculaire, mais aussi et surtout l'existence d'un profil tensionnel permettant d'affirmer une bonne adaptation du débit cardiaque à l'effort.
Cet examen sera répété tous les 6 mois ou tous les ans selon l'importance du rétrécissement, et il s'agit là d'un facteur décisionnel majeur, concernant non seulement la pratique sportive, mais également la décision opératoire.
 

LES MALFORMATIONS OBSTRUCTIVES DU COEUR DROIT
 
Elles représentent, là encore, lorsqu'elles sont importantes, une contre-indication au sport.
On retrouve l'obstruction dynamique de la tétralogie de Fallot et également toute sténose pulmonaire serrée car il existe un risque de désamorçage à l'effort ou en récupération.
Les maladies avec hypertension artérielle pulmonaire fixée représentent une contre-indication absolue à tout effort du fait du risque très élevé de mort subite.
Restent les cas finalement plus délicats des malformations cardiaques parfois importantes mais qui ne contre-indiquent pas le sport d'une manière absolue ; elles doivent être évaluées et encadrées afin d'orienter l'enfant vers une activité sportive compatible avec sa condition cardiaque.
L'évaluation à l'effort. De nombreux travaux ont déjà été effectués sur ce sujet et on s'aperçoit que les enfants ont une aptitude et une tolérance à l'effort voisines de la normale à l'exception de ceux ayant des lésions cyanogènes sévères et des gros shunts qui en principe sont opérés.
Les tests d'effort progressifs, même normaux, ne peuvent préjuger des qualités d'endurance et de résistance
Il est important de souligner que cette adaptation à l'effort est voisine de la normale avec une puissance développée et un temps d'effort analogues à une population témoin du même âge. Mais cette aptitude maximale d'effort ne permet pas de préjuger des
qualités d'endurance, c'est-à-dire la possibilité de poursuivre longtemps un effort sous-maximal et les qualités de résistance qui permet de poursuivre le plus longtemps possible un effort maximal. La plupart de ces enfants cardiaques ont pu réaliser ces efforts proches de la normale au prix d'une dépense énergétique et d'une consommation myocardique en oxygène exagérées donc avec une baisse de leur réserve cardiaque. En fonction de la cardiopathie, il conviendra donc de limiter l'intensité et la répétition des gestes sportifs.
 
LES AUTRES CARDIOPATHIES
 
Les shunts gauche-droite, lorsqu'ils sont importants, entraînent une surcharge volumétrique des cavités gauches et une augmentation des pressions pulmonaires à l'effort, notamment de la pression capillaire. Ils sont en règle limités d'eux-mêmes par l'essoufflement à l'effort. On peut en rapprocher le cas de la sténose mitrale.
 
Les fuites, aortiques ou mitrales ont ceci de commun que les conditions hémodynamiques sont. en théorie améliorées par l'effort puisque la baisse de la post-charge induite par l'effort diminue la fraction de régurgitation. Il existe cependant des différences. On connaît le problème de l'insuffisance aortique volumineuse asymptomatique dont le pronostic est lié à la fonction ventriculaire gauche qui doit être surveillée de très près. Lorsque la fuite aortique est importante, il faut limiter les activités physiques car elles peuvent favoriser la défaillance ventriculaire gauche. A l'inverse, la fuite mitrale est en règle associée à un bon ventricule gauche. Elle est en théorie diminuée par l'effort mais, dans certains cas, l'augmentation de débit cardiaque entraîne par l'augmentation de la pression auriculaire gauche liée à la fuite, une augmentation de la pression capillaire pulmonaire.
Le cas particulier du prolapsus de la valve murale est particulièrement préoccupant dans l'évaluation des sportifs par les troubles du rythme ventriculaires qu'il est susceptible de générer.
 
Les cardiopathies cyanogènes.

Nous avons vu que l'hypertension artérielle pulmonaire fixée représente une contre-indication absolue de même que les obstacles dynamiques tels que les représente la tétralogie de Fallot ou les sténoses pulmonaires serrées. Les autres cas ne contre-indiquent pas une pratique sportive qui est nécessairement limitée. En effet, ces enfants ont une tolérance à l'effort très basse, essentiellement du fait de (hypoxie et du déficit du métabolisme aérobie
avec un seuil anaérobie bas et donc un essoufflement marqué.
 

LES CARDIOPATHIES CONGÉNITALES OPÉRÉES
 
Les principes d'évaluation sont les mêmes. Grâce aux nouvelles techniques chirurgicales qui permettent des réparations de plus en plus complétas et de plus en plus tôt dans la vie, on est maintenant très satisfait du résultat fonctionnel de ces interventions, et les tests d'effort cardiorespiratoire sont, là encore, montré une aptitude à l'effort quasi normale.
Les shunts gauche-droite opérés tôt permettent de corriger les hypertensions artérielles pulmonaires persistantes à l'effort.
Les coarctations de l'aorte opérées précocement permettent de réduire le pourcentage d'hypertensions artérielles résiduelles à l'effort. Ce point doit bien sûr être testé régulièrement.
 
Les prothèses valvulaires autorisent une vie normale à l'exception des sports violents du fait du traitement anticoagulant fréquemment prescrit.
En fait, la limitation la plus fréquemment rencontrée chez ces enfants opérés est due à des troubles de la fonction sinusale ou de la conduction auriculo-ventriculaire qui ne permettent pas une bonne accélération cardiaque à l'effort.

 
LE CHOIX D'UNE ACTIVITÉ SPORTIVE ADAPTÉE
 
Au terme de cette évaluation effectuée le plus souvent grâce aux tests cardiorespiratoires d'effort que l'on pratique actuellement couramment chez l'enfant, on pourra répondre avec précision sur l'autorisation d'une pratique sportive, diriger l'enfant vers un sport compatible avec son handicap et éventuellement (orienter vers une activité professionnelle ou l'en décourager.
 
Les sports peuvent être classés selon leur retentissement sur l'appareil cardiovasculaire.
- Sports à très forte sollicitation cardiaque : cyclisme, course à pied, ski de fond, natation en compétition.
- Sports à forte sollicitation cardiaque (souvent sports collectifs) : football, basket, basket-ball, rugby, tennis, hockey, boxe.
- Sports imposant des stress particuliers (essentiellement les sports de combat) : lutte, judo, escrime, musculation, haltérophilie, alpinisme, plongée.
- Sports à sollicitation cardiaque moyenne voire faible (sports d'adresse et de technique) : natation hors compétition, ping-pong, équitation, ski paisible, golf, éducation physique et gymnastique de maintien.

Il est important d'orienter ces enfants tôt vers des sports qu'ils seront susceptibles de poursuivre durant leur vie d'adulte ; bien que dans certains cas l'évaluation cardiorespiratoire d'effort soit tout à fait normale, il faudra préciser si l'enfant peut pratiquer ces efforts d'une manière intense et prolongée afin d'améliorer ses performances de pointe dans certaines disciplines à haute exigence cardiaque.
 
En outre, il faudra connaître assez tôt les limites des filières professionnelles sportives ou simplement administratives qui ont souvent une réglementation très restrictive.
 

 

CONCLUSION
 
De nombreux souffles systoliques sont découverts. Le plus souvent, il s'agit de souffles anorganiques. Parfois, il s'agit de malformations mineures ou graves. C'est dire l'importance d'un avis cardiologique spécialisé avant d'interdire ou d'autoriser l'activité normale de l'enfant.

Les contre-indications absolues sont rares et ce sont elles qui, lorsqu'elles ne sont pas découvertes, sont à l'origine des accidents graves. Le plus souvent, l'activité sportive est sans risque car bien contrôlée, et cela même chez le cardiaque opéré. Celui-ci doit bénéficier, comme les adultes et encore plus, d'une réadaptation cardiaque car, rappelons-le, l'entraînement physique est le meilleur moyen pour obtenir une économie myocardique par une une augmentation de la performance des muscles périphériques. 
 
 M. Kabaker,  A. Casasoprana  Service de cardiologie,  hôpital Robert-Debré, ¢8, boulevard Sérurier,  75019 Paris.
Pour en savoir plus
- Broustet JP, Choussat A. Cardiologie sportive. Paris : Masson, 1978.
- Cousteau JP. In : Mandel C. Le médecin, l'enfant et le sport, I vol. Paris
Vigot ed., 1984 ; 79-88.
- Cumming GR. Maximal exercice capacity of children with heart defects. Am J Cardiol 1978 ; 42 : 613-9.
- Goldberg SJ, Mendes F, Harwitz R. A comparison of maximal endurance of normal children and patients with congenital cardiac disease. Pediatrics 1966 ; 69 : 46-55.
- Lefèvre M, Bouhour JB. Souffle chez l'enfant et activités sportives. Mises à jour cardiologiques, I98o ; IX, I : 11-7.
- Pernot C, Worms AM, L'épreuve d'effort dans les sténoses aortiques congénitales, Arch Mal Coeur 1978 ; 71 : 5I7_ z5.
- Rivière A, Denolin H, Contre-indications à la pratique du sport chez le cardiaque. Ann Cardiol Angeiol 1
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